Il est belge, il a débuté aux 24 Heures du Mans en 1977 sur une BMW, il a roulé au volant de BMW, Ferrari et Mazda. A 72 ans, Pierre Dieudonné fait partie des personnes les plus respectées du paddock. Le directeur sportif WRT connaît parfaitement tous les rouages de la classique mancelle comme il connaît les 24 Heures de Spa. Nous l’avons rencontré initialement pour les « cinq questions à… » mais l’entretien a vite dérivé sur une discussion plus large.
Vous faites partie des pilotes qui ont connu les Hunaudières sans et avec les chicanes ? Quel regard portez-vous sur cette modification ?
« Pour ma part, je préférais sans les chicanes car cela permettait de souffler une minute pour stabiliser sa respiration. C’était en quelque sorte un défi car ce ‘temps mort’ permettait aussi de réfléchir. Cependant, quand on réfléchissait, on avait envie de s’arrêter. Il fallait utiliser son cerveau pour vérifier les températures de la voiture. Le dimanche, on entendait toujours des bruits, notamment au niveau de la boîte de vitesses. Il y avait même des bruits jamais entendus auparavant. On se disait : « et si ça casse ? » Il fallait être capable de déconnecter son cerveau. Quand on réfléchissait, c’était de la folie. J’ai connu pas mal de grands moments de solitude dans les Hunaudières. »
Quel moment préfériez-vous au Mans ?
« A chaque fois que j’arrivais au Mans, les premiers tours du mercredi étaient quelque chose de particulier. C’était chaque année comme un coup de poing dans l’estomac. Il fallait quelques tours pour digérer. Le dimanche, tout était devenu naturel. Didier de Radiguès avait la même réaction que moi alors que c’est un motard. Le Mans est tellement difficile et rapide, c’est dans une autre dimension. »
Vous aimiez cette course ?
« Derek Bell disait très justement que Le Mans était une relation amour/haine. Il arrive que tu détestes cette course mais tu y reviens chaque année. J’ai toujours aimé Le Mans quand l’épreuve était terminée, mais deux jours après, j’étais impatient d’y retourner. J’ai connu des mauvaises périodes, telles que l’accident mortel de Jean-Louis Lafosse en 1981 ou celui de Jo Gartner en 1986. La sortie de Thierry Boutsen sur une WM était aussi quelque chose de marquant. Ma théorie est de dire que rouler à 300 km/h n’est pas un problème. Le problème est d’y rester… La sollicitation de la mécanique est très importante. Quand on roule à plus de 300 km/h, il faut être fataliste. Est-ce que c’était raisonnable d’être pilote au Mans à cette époque ? La réponse est oui. Alors on acceptait car nous étions choisis pour cela. C’est dangereux, un point c’est tout. On ne peut pas avoir une sécurité totale. Les jeunes ont maintenant le sentiment d’être invulnérables, ce qui n’était pas notre cas. Soit on se tuait, soit un autre se tuait. Ce sentiment a disparu »
L’arrivée des chicanes a modifié les choses ?
« Le législateur a fait le choix de mettre deux chicanes, mais je pense que ce n’était pas le bon argument. On a ajouté deux freinages à haute vitesse, on a supprimé certains risques pour en mettre d’autres. Le Mans a perdu une partie de son caractère. Avec les chicanes, on roulait avec de l’appui à l’avant. Ensuite, on ne faisait que monter à une certaine vitesse, ce qui a rendu les autos plus physiques à piloter. On a perdu la minute de tranquillité. La physionomie de la course a changé. La règle FIA stipulait de ne pas avoir la moindre ligne droite de plus de 2 km. »
Vous qui connaissez aussi les 24 Heures de Spa, une comparaison entre les deux circuits est possible ?
« Le Mans était surtout fatiguant nerveusement, Spa est fatiguant physiquement. Sur le grand circuit de Spa, il y avait tout le temps de grandes courbes sans le moindre rail. A Spa, tu sortais sans les rails, tu te tuais. Cela peut paraître étrange, mais les meilleurs souvenirs sont ceux passés sur les circuits dangereux : Spa, Le Mans, l’ancien Brno, Bathurst. C’est peut-être malsain. »
Comment voyez-vous l’avenir ?
« J’avoue être un peu perdu. L’industrie automobile va rester jusqu’à ce que la voiture autonome devienne la mamelle du sport auto. Tout le monde se précipite vers l’électrique, on pense à l’hydrogène. N’oublions pas que pour faire de l’hydrogène, on a besoin d’énergie qui rejette du CO2. Le virtuel comme Roborace est à surveiller. A côté de cela, l’historique se développe. Si je devais suivre ma passion, ce serait vers l’historique. Le sport auto est ma vie, mon environnement. C’est pour moi un privilège de travailler avec des jeunes car ils connaissent mon passé et on sent une forme de respect. Tu peux leur donner des lignes de conduite intemporelles. C’est plus un côté paternaliste basé sur l’expérience de la course et de la vie. »