Vous avez été nombreux à nous donner votre avis sur la question de savoir si le contrôle des coûts en sport automobile était possible et on vous en remercie. Nous avons demandé l’autorisation à son auteur de vous livrer le contenu d’une réflexion. Pour des raisons de confidentialité, on ne vous donnera pas son nom, juste un pseudo : apff. On peut juste vous dire qu’il est rompu à la catégorie LM P1.
Il est difficile d’aborder le sujet de la réduction des coûts en sport automobile, principalement chez les constructeurs car il est toujours possible de contourner les règles. Cependant plusieurs options pourraient mener directement ou indirectement à des baisses significatives des coûts. La technologie, la performance et la compétitivité du championnat restant au centre de l’augmentation des coûts.
Prenons la question du staff nécessaire à faire rouler une voiture. Il faut une trentaine de personnes dans une équipe d’usine en LM P1 pour faire rouler une voiture. Si l’on limitait le staff à 10, ou 12 personnes par voiture, et disons 15 à 20 personnes pour un team de 2 voitures, que feraient les constructeurs ? Soit ils enverraient les données à l’usine pour y être traitées par une équipe sur place comme c’est le cas en F1, soit ils simplifieraient les systèmes pour qu’ils soient gérables par des équipes réduites. Et on peut en faire de même pour toutes les catégories, y compris pour la compétition client (GT3, LMP2, …). Si l’on ajoute à cette limitation du personnel une fermeture obligatoire des usines / des serveurs informatiques les WE, la limitation du personnel devient une réalité.
On peut aussi y trouver une réponse à la question des privés. Avec des voitures qui seraient plus faciles à exploiter par des équipes réduites, qu’est ce qui empêcherait un privé d’en engager une ? Le prix ? Il y a un ‘cost cap’ plus ou moins partout, que ce soit règlementairement ou du fait de la concurrence. Alors pourquoi pas un ‘cost cap’ de vente pour une LM P1 ? Imposer une mise sur le marché des LM P1, même à faible échelle, disons 3 ou 4 châssis par constructeur et par an, permettrait de rentabiliser un peu plus les frais d’étude, de faire de la production en petite série pour continuer à réduire les coûts, d’ouvrir le championnat avec plus de prétendants à la victoire… Si les constructeurs sont trop réticents à l’idée de vendre / louer leurs voitures, on pourrait ne leur imposer qu’une fourniture moteur (+ hybride ?). Là aussi on optimiserait les coûts.
La question du nombre de pièces utilisées au cours d’une saison est peut-être également à portée. Certains teams changent de châssis, parfois même plusieurs fois, en cours de saison. Est-ce raisonnable de jeter /remiser un châssis ? S’il est bien conçu et qu’il n’est pas détruit lors d’un crash, il devrait arriver à faire au moins une saison complète, si ce n’est 3 à 5 ans d’exploitation, ce qui correspond plus ou moins à la durée d’amortissement d’une voiture de course pour un team. Le nombre de moteurs est lui aussi un moyen de réduire les coûts si tant est que chaque pièce n’en vient pas à être dimensionnée pour assurer uniquement le kilométrage voulu auquel cas le moteur devient totalement jetable. En LMP2 les moteurs sont fourni pour un cout horaire. Ce ‘cost cap’ horaire pourrait également être appliqué aux moteurs des GT, mais aussi les boites de vitesses et tout autre organe sensible dans chaque catégorie ou il y a de la compétition client.
D’un point de vue développement, il est difficile de réduire les coûts sur la quantité de personnel car chez un constructeur, il est toujours possible de faire travailler des employés de départements “série” sur des projets “sport automobile” en transférant les données en interne. Il est donc difficile de brider les développements par le nombre d’employés. Il est cependant possible de limiter les heures de soufflerie, les jours et heures d’essais privés (en faisant attention à ce que les heures correspondent au temps de travail maximal journalier d’une seule équipe…), … pour faire simple, on peut continuer dans le sens de ce que fait l’ACO, mais en plus restrictif. Il est également possible de limiter les spécifications techniques de chaque voiture par saison. C’est ce qui est fait en aérodynamique, et cela pourrait être appliqué à la mécanique. Cela faciliterait également un éventuel SAV…
Si l’on aborde le sujet du GT, le monde du GT est régi par la BOP, et les kits annuels. Pourquoi, alors que la BOP se veut équitable, y a-t-il des kits annuels ? Pourquoi le GT3 se veut-il de plus en plus performant, si ce n’est pour remplir les poches des constructeurs ? Pourquoi ne pas autoriser un seul et unique kit d’évolution, en fin d’année 1 d’exploitation, visant principalement à fiabiliser la voiture et éventuellement à la rapprocher de la fenêtre de performance souhaitée par la BOP ? Un team client pourrait alors acheter sa voiture entre l’an 1 et l’an 2, et avoir l’assurance de pouvoir l’exploiter sans frais supplémentaires de mise à jour jusqu’à la fin de carrière de celle-ci. On peut rajouter à cela un ‘cost cap’ et le GT se remet sur des rails anti escalade des coûts. La même logique de kits d’évolution pourrait être appliquée au GTE, ce qui serait particulièrement intéressant pour le GTE Am.
Reste le problème des artisans. Le sport auto vit grâce à eux. Cependant le sport auto international est en train de se refermer pour devenir un marché privilégié pour les grands constructeurs. Les artisans sont voués à devenir des équipes d’exploitation ou à s’allier avec un constructeur pour devenir leur bras armé. Dans le cas contraire, c’est la disparition. On se souviendra longtemps de l’affaire Spa 2016… Les teams Mercedes ont été victime de leur dépendance à un constructeur et de l’ingérence de celui-ci dans les voitures qu’ils exploitaient. Le SUPER GT a trouvé une parade avec les mother châssis. En Europe on a la RS01 et son kit GT3, mais aussi la Ginetta G55 GT3 qui sont toutes deux des silhouettes avec une version de série dérivée de la G55. Vous me direz que la RS01 n’est pas autorisée à rouler en Blancpain car elle n’a pas d’équivalent de série. La réponse est probablement d’ordre politique… Il y a tout de même moyen de trouver un compromis permettant aux artisans de proposer des silhouettes homologable GT3. Afin là aussi de contrôler les coûts, bien que les artisans soient moins enclins à dépenser des millions, il faudrait un cadre pour limiter les frais de base. L’adoption d’une base roulante commune comme pour les mother châssis au Japon serait une solution. Le TTA / STCC (championnat suédois) a effectué ce choix de 2012 à 2016 et s’en est très bien porté. Coté moteurs, la plupart des constructeurs ont dans leur gamme des moteurs développant plus de 500cv qui ne nécessitent que des modifications mineures pour être utilisés en course à moindre coût. Ce n’est pas un hasard si les moteurs LS3 et LS7 se retrouvent sur la plupart des voitures de course “low cost”. Alors oui permettre aux artisans de faire des “GT3” moins chères va marcher sur les plates-bandes des constructeurs. Et alors ? Le sport automobile est supposé être de la course et non de la politique. Étant donné l’ouverture du règlement GT3, on pourrait presque acheter une Supercar de série, aller voir la FIA, la faire homologuer et rouler. À l’inverse, on pourrait imaginer homologuer une Radical (qui est plus ou moins une LM P3 pour la route). Même une Twingo serait homologable moyennant quelques modifications de sécurité. Reste ensuite au législateur de faire une bonne BOP… Dans ce cadre-là, il n’y a aucune raison que les artisans n’aient pas eux aussi le droit à leur part du gâteau.
En parlant de BOP, et toujours dans l’optique de réduire les coûts, pourquoi le règlement GT3 ne donne-t-il pas une fenêtre explicite des performances des voitures ? Avec pour cible un poids, une courbe de puissance, un coefficient de trainée et un coefficient de portance, il est possible que la vie du législateur en charge de la BOP soit bien plus simple, tout comme celle de ceux en charge de concevoir les voitures. Car dans le fond, que la BOP soit faite sur une base de voitures très disparates ou au contraire très proche en termes de performances avant des ajustements ne changera rien au problème. Par contre, cela permettrait de limiter l’augmentation constante des performances entre chaque génération de voitures, et donc de limiter le nombre de kits d’évolutions, etc…
Pour en revenir au personnel sur les courses et à la course à l’armement qui fait augmenter régulièrement les coûts, quid des pit stop et des fenêtres de temps de ravitaillement ? En WEC, il n’y a qu’un pistolet pneumatique pour 2 mécaniciens, je n’ai pas vérifié tous les championnats au monde, mais c’est une solution du fonctionne. Afin d’éviter la course à l’armement sur les tours de remplissages d’essence, pourquoi simplement ne pas imposer un débit de remplissage (proportionnel à la taille du réservoir) sur ces dites tours ? Il n’y aurait alors plus de course à l’armement utile dans le domaine des pit stop, si ce n’est l’entraînement des mécaniciens. Et dans ce domaine personne ne reprochera à Porsche d’avoir engagé Hulk pour changer les roues…
Au niveau des nouvelles technologies, elles sont souvent l’œuvre d’artisans visionnaires (qui essayent d’innover tout en finançant leurs projets par des activités autres / du sponsoring), ou issues de l’aviation, de l’automobile de série ou autre. Celles qui en arrivent à jouer la victoire au Mans ont été sélectionnées comme les plus efficaces et réutilisées en mieux par les constructeurs. La question est alors de limiter les coûts d’adaptation de ces technologies au sport auto. Dans l’immédiat, je ne pense pas que l’on puisse stopper un constructeur mettant des moyens de R&D en sport auto sur de nouvelles technologies. On peut cependant lui imposer de rentabiliser cette technologie en lui imposant de la louer / vendre. Ces derniers temps le plus gros de la technologie se situe dans les systèmes hybrides, que les privés n’ont pas les moyens de financer. Si l’on impose aux constructeurs la mise à disposition de ces systèmes à prix raisonnable pour les équipes privés le souhaitant, le constructeur peut alors financer une petite partie des coûts de R&D. Cela augmenterait par la même occasion les chances des privés face aux usines en termes de performance pure. On aurait alors un deal gagnant / gagnant.
Il y a également un moyen de réduire les coûts avec la mise en commun des études de certaines pièces, comme en DTM ou en GT500. Je pense qu’à l’heure actuelle, il ne reste que la carrosserie, le système de refroidissement et le moteur qui soit réellement propre à chaque constructeur dans ces championnats. Et pourtant la qualité des courses est là.
L’un dans l’autre, il existe des moyens pour réduire les coûts. La question est de savoir si oui ou non on souhaite y arriver, sachant que le « on » représente les constructeurs, les organisateurs, et l’ensemble des parties prenantes… Reste la question du long terme. Le LM P1 a prouvé être une très belle catégorie ces dernières années, et pourtant elle s’est avérée financièrement pas viable. Je pense qu’il est difficile pour un législateur d’anticiper avec 3 ans d’avance ou plus l’intérêt que va donner la catégorie aux constructeurs, donc le nombre de constructeurs présent et le financement qu’ils vont lui accorder. Ce règlement LM P1 très ouvert a fait venir les constructeurs, ce qui au final a augmenté les coûts et les fait repartir. Qu’en aurait-il été avec un règlement plus fermé ? La meilleure option pour garder les coûts annuels bas est de rendre l’utilisation de plus d’argent inutile en termes de performance. Cependant, aucun règlement n’a pu le faire jusqu’à présent… L’autre question est de savoir si les constructeurs y verraient un intérêt…