Prendre un an de plus signifie le plus souvent un apéro à rallonge (ce qui se fera ce soir à Spa). Si les uns voient le poids des ans comme un sacerdoce, les autres voient juste cela comme le temps qui passe, ce qui est mon cas. Comme nous tous, plus les années filent, plus le sport automobile change. En prenant un an de plus, peut-être suis-je suis trop vieux pour comprendre les différentes subtilités de ce sport.
Cette réflexion vient en partie du fait qu’il y a 20 ans quasiment jour pour jour, un ami me prêtait sa petite Citroën AX GT pour un slalom sur la piste de karting de Fontenay-le-Comte (85). Ma première licence FFSA (à la journée). J’étais jeune, con et je croyais que j’allais atomiser tout le monde (ou presque). Hier matin, j’étais de retour à Fontenay-le-Comte, mais le circuit de karting a laissé sa place à un vrai circuit et la petite AX à une Renault Clio Cup appartenant à ce même ami. Mon casque ‘jet’ de l’époque est remplacé par celui de Fred Mako à qui j’ai de suite envoyé une petite photo fier comme Artaban. Lui qui a connu la piste de karting de Fontenay en 125 cm3 est maintenant pilote officiel Porsche et Nissan. Moi, je ne suis toujours pas pilote, mais, en 20 ans, de l’eau a coulé sous les ponts en passant du simple gradin au Mans à celui de journaliste titulaire d’une carte de presse.
Lorsque Endurance-Info a été lancé en 2006, on parlait d’équivalence essence/diesel, des débuts du GT3, du duel Pescarolo vs Audi aux 24 Heures du Mans, des monstrueuses GT1. Treize ans plus tard, on en est où ? Est-ce que, comme le vin, la discipline Endurance s’est bonifiée avec le temps ? Cela ne vous a pas échappé que l’automobile dans son ensemble est à un tournant de son histoire et le sport auto suivra en toute logique cette direction. En 2006, Pescarolo Sport terminait à 4 tours d’Audi Sport au Mans. En 2019, SMP Racing a terminé à 6 tours de Toyota. Deux tours de plus en 13 ans.
Il faut maintenant que j’explique un facteur de ralentissement en LMP1 en fonction des résultats via un calcul. A l’issue de la course de Silverstone, chaque voiture sera ralentie par tour de 0, 008s par kilomètre (donc X longueur du circuit de la course suivante) pour chaque point de différence avec le dernier classé au classement de référence. Et je ne vous parle pas des calculs de l’EoT. En GTE-Am, un success ballast est mis en place. Pour la course 2 de la saison qui se déroulera à Fuji, seulement deux critères seront retenus : la position au championnat et le résultat de la course de Silverstone. Pour la course 3 à Shanghai, le calcul se fera sur la position au championnat et les résultats de Silverstone et Fuji. Pour la course 4, le calcul se fera sur la position au championnat et les résultats de Fuji et Shanghai.
En GT3, il faut surveiller le relais de 65 minutes, l’arrêt technique, l’arrêt joker, la tolérance d’une seconde. Dans tous les championnats, on peut modifier la BOP en cours de meeting. Par chance, personne n’a dit à Sébastien Loeb après quatre titres WRC qu’il devait rouler sur trois roues la saison suivante. Même si je prends un an de plus, peut-être est-il temps que je reprenne mes études et de travailler enfin les maths et la physique. Il n’est jamais trop tard pour bien faire car là le mal de tête se fait sentir.
Avec tous ces artifices, il est bien compliqué de savoir quelle est la meilleure auto (je ne parle pas du LMP1) et quel est le meilleur pilote. Vu que tout est étalonné en fonction des circuits, cela devient compliqué d’établir une hiérarchie. Selon moi, le meilleur pilote reste Romain Dumas. Si j’écarte le côté affectif pour le bonhomme, on sait ce qu’il vaut en GT, en proto, en rallye, en rallye-raid, sur un bateau, sur une tondeuse à gazon et sur tout ce qui a un moteur. Pas de faute en piste et la gnak comme au premier jour à près de 42 ans.
De la gnak, il en faut tous les jours dans une discipline qui se ferme au fil du temps, où l’esprit de contradiction devient compliqué, où il ne faut surtout rien dire, où les communicants remplacent de plus en plus les journalistes, où personne n’ose lâcher un bon mot, dire ouvertement son mécontentement sur un sujet ou un autre, où les réseaux sociaux deviennent un déversoir de haine. Quand on écoute les discussions sur les autres sports tels que le football ou le cyclisme, on est à cent lieues de l’Endurance. Imaginez un Pierre Ménès en sport auto. Le gars serait tout bonnement blacklisté. Si je vous dis qu’il y a quelques années, un patron de circuit a été menaçant à cause d’une phrase dans un article qui lui avait déplu. La question est de savoir si un journaliste est là pour plaire.
Les médias dédiés à l’Endurance se font de plus en plus rares sachant que les journalistes se font d’une façon générale rares dans les salles de presse. Des photographes, ça vous en avez tellement qu’on se demande même où sont diffusées leurs images. Mais les gratte-papiers sont une espèce en voie de disparition, un peu à l’image du frein à main manuel. Combien de vrais médias 2.0 dédiés uniquement à l’Endurance existe-t-il dans le monde ? Deux ? Quand on dit média, c’est aller chercher les infos sans attendre qu’elles arrivent, se déplacer, appeler, écrire. Faire valider les interviews avant publication n’est pas le genre de la maison. Attention à bien différencier journaliste et communicant.
Quand SRO m’a demandé de faire des commentaires (comme consultant, pas comme commentateur car commenter est un métier), le message de la direction était clair : “on te prend pour tes connaissances, donc si un jour quelque chose ne va pas, il faut le dire. Tu es journaliste, pas salarié SRO et pas habillé aux couleurs SRO”. Mais chacun doit rester à sa place. N’oublions jamais que quand un pilote est en piste, on ne sait pas quels pneus il a, ni la quantité de carburant, ni la pression de ses pneus, etc… Critiquer est facile. C’est comme si à la fin des 24 Heures de Spa, j’allais voir Renaud Dufour (Black Falcon) pour lui dire ‘ dis donc, vous avez perdu Spa, donc la stratégie n’était pas bonne’. Il aurait bien raison de m’attacher sur le toit de la Mercedes et d’aller me faire prendre l’air à 250 km/h autour du circuit.
On peut me reprocher ce qu’on veut, mais pas de transgresser les codes. Ce qu’on me dit de ne pas dire, je ne le dis pas même si d’autres le disent. C’est ce qu’on appelle la confiance. Il faut tout garder secret, attendre la communication officielle. Si je publie tout ce que je sais, je me fais lyncher et si je ne publie pas, je ne fais pas mon travail de journaliste et je perds la confiance des uns et des autres. Ménager la chèvre et le chou…
A une époque où le sport auto est de moins en moins populaire, on devrait justement ouvrir les vannes, créer l’envie, faire un peu de buzz, donner son avis, laisser libre court à la contradiction. Les dernières Total 24 Heures de Spa en ont été le parfait exemple avec le drapeau rouge. Les acteurs ont donné des avis divergents, mais c’est aussi ce qui fait avancer les choses. Résultat : +84% de clics sur la période post Spa par rapport à 2018. Tout le monde a voulu lire ce qu’a dit son petit camarade. N’oublions jamais qu’on ne fait que du sport auto et qu’on ne va pas sauver des vies. Quand on quitte un circuit, personne ne nous connaît. Une personne m’a encore dit le week-end dernier : “quand on sort du circuit, c’est l’anonymat le plus complet, je suis champion de mon quartier.”
L’autre bon exemple de l’été reste les anecdotes personnelles. Si je vous dis qu’elles ont dépassé allègrement les 250 000 clics. C’est comme si toute la ville de Strasbourg avait lu mes histoires. Hallucinant quand même… Tout ça pour lire mes escapades avec mes amis Guillaume Moreau, Olivier Pla, Fred Mako et consorts.
Tiens, je vais en profiter pour vous raconter une petite anecdote supplémentaire qui va vous montrer à quel point le sport auto change. Il y trois mois, un pilote bien connu me fait part qu’il a été démarché par un gamer qui allait disputer une course importante sur simulateur. Le pilote virtuel lui demande combien il touchait pour faire les 24 Heures du Mans pour que lui puisse demander un salaire. Vous la voyez arriver la chute ? Le pilote lui dit qu’il n’était pas payé et qu’il devait même payer pour rouler. Je ne vous dis pas l’état du gamer qui n’en revenait pas. Lui allait être payé (très cher) pour disputer une compétition de e-sport alors que le vrai pilote, qui risque sa vie, paie et ne touche rien. Le pilote doit en plus donner de l’argent pour être catégorisé par la FIA (?!?!?!?) sachant que le but est d’être le moins gradé possible. Pour résumer, le Gold paie 150 euros pour être confirmé… Gold. De l’argent tout de même bien gagné…
Le monde du sport auto ne change pas ? Allez voir les courses de Formule 4 où quasiment chaque pilote a un coach à ses côtés. Les parents paient une formation et s’offrent en plus un coach. Avant le départ, chaque pilote est dans son coin pour faire des étirements ou de la corde à sauter. Je connais certains pilotes qui n’ont pas eu de coach et qui sont capables, même à 40 ans, de mettre une rouste à un chronomètre sur la piste.
Vu que je dois être trop vieux pour comprendre une partie de ce sport, je vais faire de plus en plus dans l’humain. Soyez rassuré, on va continuer à vous dire si telle ou telle auto prend 10 kg ou si elle passe d’une bride de 40 à 42 mm. Mais à côté de cela, passer 1 heure avec Nico Prost à Magny-Cours qui parle de son enfance avec ses parents a été un vrai régal, comme discuter avec Christopher Campbell de son retour à la compétition et de sa passion pour le sport en général, écouter les dizaines d’anecdotes de rallye de Fred Thalamy autour d’un plat de pâtes dans la noirceur du paddock de Magny-Cours (avec quelques madeleines dont seul Sébastien Chétail a le secret) ou revenir avec Greg Guilvert sur son travail avec Peugeot où il allait à son boulot de tous les jours tôt le matin avant de se rendre à Satory pour faire quelques runs avec la 908 à 320 km/h, puis revenir à l’entreprise familiale en fin de matinée.
Georges Kaczka qui raconte sa carrière avec Jacques Laffite, ça me parle, André Grammatico qui est fier de la victoire de sa petite équipe en FFSA GT, ça me parle, tout comme les larmes de Thomas Drouet après sa victoire dimanche dernier à Magny-Cours. Voir Patrice Lafargue qui regarde son fils sur la plus haute marche du podium d’une course LMP2, ça me parle aussi, tout comme voir des gentlemen de la trempe de Mauro Ricci et Jean-Luc Beaubelique sur un podium dans leurs combinaisons de pilote officiel Mercedes pour le championnat GT World Challenge. Je vais paraphraser Gérard Neveu, patron du WEC : “parlez moins de technique, parlez de l’humain”. On vous prépare quelques articles inédits qui feront dans l’humain car, là, pas de triche possible. Tout est sincère et ne sonne pas faux.
Treize ans après la création d’Endurance-Info, personne, et je dis bien personne, n’aurait pu prédire qu’on serait encore là en 2019. Mais en 2029 ? Vous ne le savez pas, moi non plus. Faisons juste attention à ne casser notre sport qui n’a pas besoin de cela pour être impopulaire auprès de certains illuminés. De notre côté, on va continuer à travailler pour développer le support, certainement en repartant d’une feuille blanche en 2020 si les partenaires continuent de nous faire confiance et si les abonnements séduisent toujours. Peut-être que des petits frères d’Endurance-Info et Endurance-Classic verront le jour sous peu sur d’autres sports.
J’aurais pu mettre cet article en accès VIP mais c’est mon anniversaire, alors c’est cadeau. Avec tout ça, j’en aurais presque oublié le titre de l’article : un an de plus, ça se fête, alors tchin !