Quand on est ingénieur d’exploitation, on aime mettre en place une stratégie, tenter le petit truc en plus qui veut vous faire gagner une course. Pour résumer, un ingénieur d’exploitation est bien dans son élément avec le casque sur les oreilles devant ses ordinateurs. Confiné chez lui dans la région lyonnaise, Renaud Dufour ronge son frein dans l’attente du feu vert. L’ingénieur de Black Falcon espère que 2020 ne sera pas une année blanche. Selon lui, il faut rouler, quitte à mettre de côté provisoirement la performance.
Quand on est ingénieur, travailler à domicile ne doit pas être simple…
“On commence à arriver au bout de ce qu’on peut faire. J’en profite pour refaire quelques notes sur l’organisation. Comme tout le monde, j’espère que la saison 2020 aura bien lieu car, dans le cas contraire, ce serait catastrophique. Même s’il faut rouler à huis clos, tant pis… Si on ne roule pas en 2020, beaucoup d’équipes ne seront plus là en 2021.”
Tout dépendra des différents gouvernements…
“Est-ce que les gouvernements vont autoriser les événements sportifs ? Les promoteurs veulent que ça roule, mais je redoute que les événements sportifs soient les victimes de la situation. Le parapluie a été ouvert, mais certainement trop tard. Il y a aussi la question de la circulation des gens. Garder les frontières fermées jusqu’à l’automne va tout de même être compliqué.”
Selon vous, il doit y avoir une saison 2020 ?
“Il vaut mieux un calendrier compliqué plutôt que rien. Sans saison 2020, le sport auto peut ne pas s’en relever. Quelle équipe peut se permettre de ne pas faire de saison 2020 et être encore là en 2021 ? Les équipes ne peuvent pas se le permettre, de même que pour tous les indépendants et les professionnels du sport auto.”
Si la saison devait débuter aux Total 24 Heures de Spa, est-ce que ce serait un handicap compte tenu de la complexité de cette course et du manque de roulage en amont ?
“Ce n’est pas un problème car le critère performance passe loin au niveau des priorités. Il est important de survivre, pas de gagner des courses. 2021 sera également une année compliquée, il est donc important de faire des économies. Les constructeurs vont passer plusieurs mois sans vendre la moindre voiture. Ils réduiront la voilure en sport automobile, sans oublier l’incertitude post-virus.”
Comment faire des économies ?
“Faire un meeting GT World Challenge Europe Powered by AWS en moins irait dans le bon sens tout en ayant deux meetings avec trois courses. Il faut être pragmatique car on risque d’aller d’un circuit à l’autre. Il faudra aussi des commissaires sportifs intransigeants pour éviter les sorties. Contrôler les essais privés serait également une décision positive car, cette année, on a vu des équipes qui comptent déjà plus de 20 jours d’essais, ce qui n’est pas dans l’esprit du GT3. Cela reste de la compétition-client même si le constructeur apporte un soutien. On a un manufacturier pneumatique unique, ce qui permet un meilleur contrôle avec la possibilité de délivrer un certain nombre de pneus pour l’année. Il faut avoir à l’esprit d’arrêter le bling-bling. Si on continue le train de vie qu’on a connu avant la pandémie, ça ne passera pas. Même la Formule 1 se décide à faire des économies. Faire attention aux équipes est primordial. Le côté économique est plus important que jamais.”
Conserver les autos actuelles plus longtemps permettrait également de réduire les coûts ?
“Prolonger la durée de vie des autos serait une sage décision, de même que conserver les règlements actuels. Il faut faire profil bas en 2020/2021, c’est la seule solution. Gagner des courses n’est pas la priorité du jour. Il faut garder les entreprises ouvertes. L’intérêt de tous est de rouler et d’économiser de l’argent. Ce qui me rassure, c’est qu’on pense toujours faire une saison 2020. Il faut faire le dos rond et attendre que ça passe. Croire que l’on va faire une saison 2020 normale est utopique. Il faut s’adapter car tout le monde va perdre de l’argent.”
Les promoteurs vont aussi devoir s’entendre…
“Mettre les 24 Heures du Nürburgring en même temps que le meeting Sprint de Budapest n’est pas un signe positif car tous les pilotes officiels roulent pour un constructeur et ils seront au Nürburgring.”
Disputer des courses à huis clos est faisable selon vous ?
“Quel est le problème du huis clos ? On le fait bien dans d’autres sports. Quand Hugues de Chaunac dit qu’il y a un avant et qu’il y aura un après, il a raison. Le sport auto n’est jamais quelque chose de facile. Si on veut sa survie, il faut des décisions importantes. La priorité reste la survie. Il faut avoir le courage de faire une saison, avaler le fait que les courses puissent avoir lieu sans public et faire un maximum d’économies en prenant des décisions fortes en diminuant les dépenses des équipes de 25% : moins d’essais, moins de pneus, moins de déplacements, moins d’accidents. Le pouvoir sportif doit être costaud. S’il n’y a pas de 2020, il n’y aura pas de 2021 pour beaucoup. Chez Black Falcon, on a fait le choix de ne pas faire beaucoup d’essais et a posteriori, je m’en félicite (1 jour à Portimao, 2 au Paul Ricard, ndlr). Il va falloir sacrifier là où ça ne paie pas même si j’ai bien conscience que la performance est mon fond de commerce.”