Rencontre avec John Brooks, photographe professionnel (part 1)

John Brooks est l’un des photographes de voitures de sport les plus célèbres et les plus talentueux qui existe. Le Britannique a accepté de parler de son travail, de ses différentes expériences et de sa passion. Un peu plus en retrait ces dernières années, il nous donne cependant son point de vue sur l’Endurance à travers les années et parle des voitures, des circuits et des éditions des 24 Heures du Mans qu’il a aimés. Attention, c’est sans filtre, tel qu’on le connait…

Quand avez-vous commencé votre carrière de photographe ?

“J’ai acheté mon premier appareil photo en 1979 parce que je me rendais au Mans et j’ai pensé que ce serait une bonne idée de prendre des photos. Je suis allé dans un magasin d’appareils photo de Londres (à la City), où je travaillais à l’époque, sans rien connaître du sujet. On m’a conseillé d’acheter un Minolta (SRT-101) et quelques zooms. C’était un bon choix car j’ai fini par apprendre les bases avec cet équipement. Plus tard, je suis passé chez Canon et je suis toujours avec eux aujourd’hui. J’ai aussi du matériel Fuji car j’aime les cadrans et les commandes manuelles plutôt que les écrans tactiles et les menus. Je suis de l’ère analogique plutôt que numérique.

J’avais été au Mans en 1978 et j’avais naturellement célébré la victoire de Renault dans le style britannique habituel, avec beaucoup, beaucoup de bière. J’ai donc pensé qu’un appareil photo serait une distraction et devrait être amusant aussi. Cependant, aucune des photos n’a été prise parce que j’ai raté le chargement de la pellicule. Quelque temps après, en 1979, j’ai commencé à faire de la photographie après avoir appris à charger la pellicule. Je suis retourné au Mans l’année suivante et j’ai réussi à prendre quelques photos. J’ai même récemment
vendu une photo de Jürgen Barth et de sa première femme, Simone, assise sur une chaise dans la voie des stands, attendant son passage. J’ai été repéré et, en 1981, j’ai obtenu mes premières passes presse. Ma première accréditation aux 24 Heures du Mans a été délivrée en 1984 où j’ai aidé Keith Sutton et sa nouvelle agence photo. Cet arrangement s’est poursuivi tout au long de l’ère du Groupe C, puis à la renaissance des courses de GT. En 1997, j’ai définitivement quitté mon vrai travail, suis devenu photographe et écrivain à plein temps dans le domaine du sport automobile, spécialisé dans les courses d’endurance. En somme, c’est un rêve devenu réalité !

Est-ce que le sport automobile est venu à vous ou êtes vous allé vers lui ?

“J’ai suivi le sport automobile depuis mon plus jeune âge, huit ou neuf ans. La première course à laquelle j’ai assistée a été le Grand Prix de Grande-Bretagne 1970 à Brands Hatch. Mais, à l’époque, je lisais des articles sur les Porsche 917 et les Ferrari 512, sur Jo Siffert et Pedro Rodriguez. Ils étaient, en quelque sorte, des héros. La Formule 1 et les l’Endurance avaient la même importance à cette époque, la F1 était, comme toujours, le top, mais les voitures de sport étaient aussi au sommet. Le type le plus cool de la planète, Steve McQueen, avait même fait un film sur Le Mans. A l’époque, je devais avoir 14 ou 15 ans, je me suis dit que j’aimerais bien être cool comme Steve McQueen… Manifestement ça n’a pas marché (rire).

J’ai commencé à couvrir la Formule 3 britannique en 1981 parce qu’il y avait une équipe locale, West Surrey Racing. Ils faisaient courir une Ralt pour Jonathan Palmer qui est devenu champion cette année-là puis il s’est digiré vers la Formule 1. Les gars de WSR avaient fait courir Stefan Johansson l’année précédente pour Project 4 (Ron Dennis avant McLaren) et il avait remporté le titre lors de la dernière manche, il y avait eu de sérieuses célébrations ce jour-là. À l’époque, j’allais boire quelques verres dans les pubs et mon ‘fief’ était The King’s Head à Shepperton, juste à la sortie de Londres. Il était tenu par un type qui avait travaillé dans ce sport, y compris dans des endroits aussi exotiques qu’Indianapolis. On ne parlait que de courses ou de qui devait acheter le prochain verre. Herbie Blash, team manager chez Brabham était un habitué, il habitait tout près. Il y avait des gars de l’usine McLaren et de Ralt qui y allaient aussi. David Yorke, team manager avec John Wyer à l’époque de leur gloire, arrivait de Londres (au pub) pour parler de course automobile. Des pilotes se présentaient également, Ayrton Senna quelques fois et bien d’autres, je me souviens que Nelson Piquet se joignait à nous aussi.

À l’époque, j’habitais à une centaine de mètres de Dickie Bennetts qui dirigeait West Surrey Racing (qui dirige toujours cette écurie d’ailleurs) et je suis donc devenu leur photographe. C’était comme une famille élargie ; ma femme faisait même les chemises pour l’équipe et l’un des mécaniciens me louait une chambre. Cependant, ma véritable passion était l’endurance, l’arrivée du groupe C n’a fait qu’augmenter cela. Les RT3 Ralt ou les pilotes de F1 ne pouvaient pas rivaliser face aux Porsche 956 ou les Lancia LC2. À un point tel que le dernier Grand Prix, où j’ai pris des photos, remonte à 1987. Je ne les ai pas vues courir en chair et en os depuis, je ne suis pas très intéressé. Je dois dire que les F1 modernes sont laides, hors de proportion comme les SUV que vous voyez dans les rues. Je suis plein d’admiration pour les équipes de F1, les pilotes et le niveau de performance qu’ils produisent lors des Grand Prix, mais ce n’est pas pour moi.

Cette année sera mon 40e Le Mans, si cela se produit. J’ai participé à plus de 75 courses de 24 heures, je pense que cela prouve que je dois être plus qu’un peu fou. Cependant, depuis un certain temps, je ne suis pas convaincu de la direction que prend cette discipline. Je prévois que l’ACO aura du mal à maintenir son niveau actuel au cours de son deuxième siècle, car l’utilisation de la voiture sera peut-être réduit ou interdit aux gens au nom de l’environnement. De plus, il est clair que l’époque où les constructeurs dépensaient des budgets énormes pour le sport automobile est révolue, même en Grand Prix. Je n’ai plus confiance dans les courses de GT, ni même dans le sport automobile dans son ensemble. Le terrible virus qui fait actuellement rage autour de nous sera également un autre clou dans le cercueil du sport auto. Une révision complète est absolument nécessaire si nous voulons continuer, il ne peut y avoir de “statu quo ante bellum”, ou le sport, y compris Le Mans, sera consigné dans les livres d’histoire.”

Au début, avez-vous fait une école de photographie ou êtes-vous autodidacte ?

“On apprend tout seul. Vous faites toutes les erreurs possibles et vous apprenez à la dure. C’était différent à l’époque. Maintenant, tout comme les pilotes, vous pouvez voir, analyser les données, es photos et vous trouvez ce qui a mal tourné. À l’époque, vous aviez un rouleau de film et, si c’était bien, c’était bien. Vous ne pouviez pas vous souvenir des réglages que vous aviez deux semaines auparavant. Au bout d’un moment, vous vous disiez “c’est une journée ensoleillée, donc f8 à 100 ASA”, vous emportiez un posemètre (appareil utilisé en photographie pour mesurer la luminosité d’une scène et déterminer l’exposition optimum d’une prise de vue, ndlr) partout. À partir de 1998, j’ai commencé à développer des films sur la route alors que je travaillais pour John Mangoletsi. Cela faisait de très longues journées, mais cela m’a permis de mieux comprendre la photographie, de savoir ce qui marchait et ne marchait pas. Un an ou deux plus tard, les DSLR (Digital Single-Lens Reflex ou appareil photographique reflex numérique) sont arrivés, tout le monde était soudainement un expert, Photoshop a caché une multitude de péchés. La façon dont nous consommons la photographie a aussi radicalement évolué, l’accent étant mis sur l’internet plutôt que sur l’imprimé. La vitesse de livraison requise a également changé de façon démesurée, éclipsant désormais la qualité de l’image.”

A suivre…