Lorsque les frères Jean-Michel et Philippe Martin décrochent la victoire sur les 24 Heures de Spa 1979, ils sont les premiers d’une même fratrie à remporter ensemble la course. Le duo signe un nouveau succès l’année suivante, alors que Jean-Michel s’impose de nouveau à deux reprises mais sans son frère.
Ce record n’est toujours pas égalé, pourtant ce n’est pas faute d’avoir essayé. Les membres d’une même famille partageant la même voiture, la pratique est courante durant l’ère GT des Total 24 Hours of Spa. En fait, au cours des deux dernières décennies, seulement trois éditions (2014, 2015 et 2016) ne comptent pas au moins une «voiture familiale» sur la liste des engagés.
Pas plus tard qu’en 2018, une fratrie se partage le podium général. Ce résultat est à mettre au crédit de Kelvin et Sheldon van der Linde, terminant à une belle troisième place au volant d’une Audi Land Motorsport, aux côtés de Jeffrey Schmidt. L’aîné, Kelvin, décrit les avantages de partager le volant avec son frère.
“Mon frère et moi pilotons de façon très similaire”, dit-il. “En plus, nous utilisons le même insert de siège, ce qui nous permet de ne jamais le changer. C’est un peu comme se laisser tomber dans son propre canapé !
“En quelque sorte, sans dire un mot, on sait ce que l’autre pense.“, poursuit-il. “En course, c’est relativement important car pendant les changements de pilote, le langage corporel en dit long. A deux ou trois heures du matin, alors que le mental est éprouvé, on peut ressentir ce que l’autre ressent, sans rien dire et continuer à attaquer. C’est une dynamique vraiment sympa.”
Les pilotes britanniques Alex et Chris Buncombe étaient coéquipiers lors des éditions 2010 et 2013, sur une Nissan de l’équipe de Bob Neville, RJN Motorsport. Comme Kelvin, Alex se montre enthousiaste à propos de cette expérience.
“On ne peut pas rêver mieux. Avoir son frère comme copilote, c’est une sensation géniale”, explique Alex, qui participe désormais au programme GT3 mondial de Bentley.
“2010 a marqué ma première année à Spa avec l’équipe de Bob, c’était la plus importante course de ma carrière. Y participer avec mon frère l’a rendue encore plus spéciale.
“Nous sommes des compétiteurs et nous voulions tous les deux être plus rapide que l’autre, ce qui nous a poussé à attaquer un peu plus”, poursuit-il. “Cela change l’état d’esprit. Battre son frère, c’est encore mieux que battre son coéquipier, donc cela pousse à se dépasser.”
Malheureusement, les Buncombe jouent de malchance lors de leurs deux participations. En 2010, un problème technique en début de course met sur la touche la Nissan RJN, tandis qu’en 2013 la course se termine de manière spectaculaire, après seulement une heure, en raison d’une défaillance à l’arrière gauche, propulsant Alex dans le mur de pneus du Raidillon.
“C’est vraiment dommage de ne pas avoir passé la ligne d’arrivée sur aucune des deux courses où nous avons roulé ensemble”, explique Alex, qui depuis son premier engagement en 2010 a roulé sur chacune des éditions de Spa. “J’adorerais y participer à nouveau avec Chris. Ce ne sera pas cette année, il sera dans une McLaren et moi avec Bentley, mais c’est formidable d’être sur la grille en même temps. Que cela continue longtemps.”
Les frères Van der Linde et Buncombe ne sont que deux des nombreux exemples de membres de la même famille partageant la même voiture sur les 24 Heures. L’histoire peut-être la plus singulière est celle de l’équipage Felbermayr / Ried, qui se compose de deux duos père-fils.
Horst Felbermayr Snr. et son fils Horst Jnr. font équipe avec Gerold et Christian Ried à cinq reprises entre 2002 et 2006. À chaque participation, ils pilotent pour l’équipe Proton de Gerold (qui en 2007 devient l’équipe Felbermayr-Proton) et toujours avec des Porsche. Leur première participation à l’épreuve n’est pas inoubliable : la voiture rencontre des problèmes après seulement 14 tours et est ensuite disqualifiée pour avoir bénéficié d’une assistance extérieure.
Un autre abandon en 2003, suivi en 2004 de leur meilleur résultat, une très respectable neuvième place au classement général et la cinquième dans la très disputée catégorie N-GT. Le quatuor passe sous le drapeau à damier lors de ses deux autres participations à Spa, 16ème en 2005 (et un podium en catégorie GT2) puis 12ème en 2006.
Horst Snr. est décédé en mars 2020. Ce Gentleman driver a partagé à plusieurs reprises une voiture avec son fils, laisse son empreinte sur une série de participations à Spa-Francorchamps.
Au total, le double duo Felbermayr/ Ried dispute la course ensemble à cinq reprises. Ce chiffre n’a pas été battu, mais bien égalé par deux autres duos de la même famille. Lorsque l’équipage de la Porsche Proton s’est classé au neuvième rang en 2004, ce n’était pas la meilleure “voiture familiale” à l’arrivée. Juste devant eux se trouvait la Porsche JWR #71, avec David et Godfrey Jones au volant, participant pour la deuxième fois aux 24 Heures.
Les jumeaux Jones sont bien connus sur la scène auto britannique, notamment pour avoir remporté le titre British GT, ensemble, en 2009. Après avoir disputé les 24 heures en 2003 et 2004 sur des Porsche, ils reviennent en 2008 avec une Ascari KZ1 mais ne parviennent pas à terminer. En 2011, le passage sur la Mercedes-Benz SLS AMG GT3 produit une impressionnante 11ème place au général, ce qui vaut également aux jumeaux et à leur équipier, Mike Jordan, de devenir vice-champions de la catégorie Pro-Am. Une dernière tentative en 2012 se solde par un abandon.
L’autre fratrie à avoir disputé la course ensemble, à cinq reprises, est celle des frères Van Der Zwaan, Arjen et Rob. Les frères néerlandais forment à la fin des années 90 le Zwaan’s Racing, une petite équipe qui se révèle efficace. Malheureusement, aucune de leurs cinq tentatives aux 24 Heures ne connait une issue positive. De 2002 à 2004, les deux frères pilotent une Chrysler Viper, puis en 2005 une Maserati MC12. Après une pause, ils reviennent en 2009 avec une Saleen mais enregistrent un cinquième abandon successif.
Lors de leurs participations à Spa, les Van Der Zwaans pilotent trois des voitures les plus emblématiques de l’ère GT. Par ailleurs, ils sont rejoints par d’impressionnants équipiers, dont d’anciens vainqueurs de l‘épreuve, Marc Duez et Christophe Bouchut, alors qu’en 2004 leur voiture roule même avec le parrainage de GTR (jeu officiel du FIA GT). Ils n’ont peut être pas passé la ligne d’arrivée, mais le programme était remarquable.
Au fil des ans, d’autres équipes « familiales » s’engagent de façon régulière. Jean-Charles et Philippe Levy disputent la course ensemble à trois reprises et décrochent leur meilleur résultat en 2005, une 21ème place au général. Plus récemment, ce sont les frères Schothorst, Steijn et Pieter, et les jumeaux Alfred et Robert Renauer qui s’engagent ensemble à plusieurs reprises.
D’autres ont fait des apparitions ponctuelles, dont les Bleekemolen (2001), les Urban (2007), les Desbruères (2008) et Greg et Leo Mansell, fils du champion F1 Nigel Mansell en 2011. En 2002, on trouve un autre double duo familial, lorsque les frères Hauchard et le duo père-fils Jean-Claude et James Ruffier partagent une Porsche 911 GT3. En 2003, les frères Koen et Kris Wauters (tous deux membres du groupe de pop belge Clouseau) terminent neuvièmes au général et deuxièmes de la catégorie G2.
Mais pour égaler les victoires de Jean-Michel et Philippe Martin, il faut une autre fratrie belge. Laurens Vanthoor a décroché la victoire sur les Total 24 Hours of Spa en 2014, et son frère cadet, Dries, se révèle comme l’un des plus talentueux pilotes GT du moment. Ils roulent actuellement pour des marques rivales, Laurens avec Porsche et Dries avec Audi, mais s’ils devaient se retrouver un jour dans la même voiture aux 24 Heures, les frères Vanthoor seraient certainement des candidats potentiels à la victoire.
Pour revenir aux Van der Linde, leur troisième place aux Total 24 Hours of Spa 2018 permet au duo sud-africain de devenir le premier duo « familial » à monter sur le podium depuis les frères Micangeli en 1986. En se remémorant ce jour, Kelvin résume ce qui rend le partage d’une voiture avec un membre de sa famille si spécial.
“Voir Sheldon brillamment réussir m’a rendu très fier”, explique-t-il. “En tant que frère, c’était comme atteindre deux buts à la fois. J’étais très heureux qu’il monte sur le podium d’une course aussi importante, plus que pour moi-même. Bien sûr, la réussite personnelle est sympa, mais d’une certaine manière, je fais de la compétition pour rendre les autres fiers. Je prends toujours un réel plaisir à voir ma famille sourire.”
Rouler sur les Total 24 Hours of Spa n’est certainement pas une activité familiale quotidienne. Mais quand tout se passe bien, il n’y a rien de mieux.