Il y a 20 ans, Stéphane Ortelli remportait les 24 Heures du Mans sur une Porsche 911 GT1 officielle en compagnie de Laurent Aïello et Allan McNish. L’édition 1997 avait tourné court suite à une sortie de piste d’Allan McNish sur la Porsche 911 GT1 du Roock Racing dès le 8e tour. En 1998, Porsche ne mettait pas tous ses œufs dans le même panier avec deux Porsche en LMP1 et deux en GT1. Les prototypes ont abandonné et les GT1 se sont offert le doublé en terre sarthoise. En arrivant au Mans en 1998, Stéphane Ortelli était le plus capé avec trois départs, contre un seul à Allan McNish et aucun pour Laurent Aïello. Le Monégasque a remonté le temps avec nous pour revenir sur l’un des plus beaux succès de son immense carrière.
1998 tient une place à part dans votre cœur ?
« Quand tu gagnes Le Mans avec Porsche, tu fais partie à jamais de l’histoire de Porsche. C’est la même chose pour un pilote de F1 qui gagne une course dans une Ferrari. Dix ans plus tôt, Didier Pironi me faisait rêver quand il roulait avec Jean-Pierre Jaussaud avec un jeune fougueux épaulé par un pilote expérimenté. Avec Allan et Laurent, nous étions les trois jeunes de l’effectif Porsche. Je suis très fier de cette victoire avec Porsche. J’étais encore il y a peu à Monaco pour une opération avec Chopard avec Jacky Ickx et Derek Bell. Il faut se pincer pour croire qu’on est bien avec ces deux légendes. Avec le temps, Le Mans reste la victoire la plus importante, la plus belle étant les 24 Heures de Spa en 2003, toujours avec Porsche. »
Beaucoup ont parlé à cette époque de course du siècle. C’est aussi votre avis ?
« Il faut dire qu’avec Porsche, BMW, Nissan, Toyota, Ferrari, Mercedes, McLaren et les autres, l’affiche avait de quoi séduire. On gagne avec la manière au volant d’une auto d’une beauté extraordinaire. C’était la victoire du 50e anniversaire de Porsche. »
Vous aviez les mêmes chances que les trois autres Porsche ?
« C’était la deuxième année que je roulais avec Allan. Quinze jours avant la course, il y avait un reportage sur Mohamed Ali dans le journal L’Equipe qui expliquait qu’il était revenu après une défaite en disant : « je vais gagner le prochain match, je connais le goût de la défaite et après il y a une victoire. » C’est ce que j’ai dit à Allan : « on va gagner Le Mans car on a connu la défaite en 1997 après 36 minutes. » La cohésion entre nous trois était parfaite. On a rigolé, on s’est fait plaisir. Nous étions déjà potes avant d’arriver au Mans. Laurent ne connaissait pas le circuit, ce qui fait qu’on lui a donné un maximum de temps de roulage. Au Mans, tu peux avoir la meilleure auto sans jamais t’imposer. On était trois potes et on avait tous la banane toute la semaine. »
Le Mans est une course à part ?
« C’est une course à dimension humaine. Le Mans, c’est pour les hommes, la F1 c’est pour la technique. L’homme a 24 heures pour faire des erreurs. C’est là où le sport d’équipe prend tout son sens. Cela concerne celui qui fait le plein de l’auto, qui prépare la nourriture, le kiné, le mécanicien. Ils font tous partie de l’histoire à dimension humaine. Certes, nous avons eu un petit coup de pouce du destin avec l’arrivée de la pluie et les problèmes de la Toyota. Avec Allan, nous avons roulé quatre ans ensemble avec que des podiums à la clé. Je ne parle pas d’une troisième place mais bien systématiquement d’une victoire ou d’une deuxième place. Une histoire comme celle-ci ne peut arriver que s’il y a une ambiance incroyable. Mon plus beau coéquipier en proto est Allan McNish, en GT Laurens Vanthoor et le plus rapide en GT Albert Costa. »
Vous gardez un bon souvenir de la Porsche 911 GT1 ?
« Gagner avec cette auto mythique représente beaucoup à mes yeux. Je vais la piloter à nouveau au Spark Festival et au Mans Classic. J’ai déjà roulé à deux reprises à son volant depuis 1998. On ne se rend pas compte de la puissance pour l’époque. C’est la dernière auto faite à la main grâce à la patte de Norbert Singer. Ensuite, les autos ont été dessinées avec un ordinateur. »
Vous êtes un infatigable optimiste…
« Le sport est une histoire de sourire. J’ai en mémoire le sourire de Gustavo Kuerten lorsqu’il a gagné Roland Garros en 1997. C’est la même chose pour nous en 1998. Pour la petite anecdote, je pense être l’inventeur du selfie en sport auto (rires). J’avais pris un appareil-photo jetable pour nous prendre tous les trois sur le podium. La photo a été élue “photo de l’année” dans le magazine Sport Auto. Je ne suis pas un spécialiste des nouvelles technologies. J’ai gardé mon téléphone portable de la fin des années 90 à 2012. Rouler avec des coéquipiers plus jeunes m’a fait progresser (rires), ça permet de garder une certaine fraîcheur. Les pilotes quarantenaires sont encore là car les jeunes les galvanisent. Cette joie sur le podium a tout de même été contrastée par la 2e place de Bob (Wollek). On s’est dit ” nous on gagne à moins de 30 ans et lui n’a pas encore gagné “. Bob nous manque. Ce sport est dur et beau à la fois. Il faut respecter l’adversaire et profiter des instants magiques. Pour une satisfaction, il y a dix déceptions. C’est une très belle école de la vie. Même à mon âge, j’apprends toujours grâce à ce sport. C’est aussi le cas de sportifs tels que Bixente Lizarazu ou Valentino Rossi. »