A tout juste 50 ans, Stéphane Ortelli reste une valeur sûre. Le Monégasque sort d’une belle saison en International GT Open où il a fait progresser Philippe Prette, le père de Louis. Ses passions restent les mêmes : piloter et transmettre. Durant sa carrière, Stéphane Ortelli a connu deux grosses sorties de piste dont tout le monde se souvient. Il y a d’abord eu Monza en Le Mans Series en 2008, puis les 24 Heures de Spa 2018. A chaque fois, la sortie était consécutive à une casse mécanique. Sur les deux accidents, le vainqueur des 24 Heures du Mans 1998 est passé tout près de la correctionnelle. Pourtant, cela n’a pas entaché son envie de piloter à haut niveau, même encore en 2020. Stéphane est revenu pour Endurance-Info sur deux accidents qui auraient pu lui ôter la vie. Entretien poignant…
En 2008, vous roulez sur un prototype LMP1 en Le Mans Series. Le 27 avril, vous subissez une énorme sortie de piste à Monza. Vous savez tout de suite que ça va faire mal ?
“Quand l’auto part, je me dis ‘wow c’est pour moi, c’est mon tour’, mais je ne me raidis pas. J’ai l’image en tête de savoir si je vole droit ou vers les tribunes. J’ai en mémoire l’accident au Mans en 1955. Quelle que soit la personne, cet accident touche ton inconscient. Là, je sais en plus que l’Audi d’Allan (McNish) est en-dessous. Voilà deux occasions de penser à autre chose qu’à soi-même.”
Le temps vous semble long ?
“Au premier impact, le crash box disparaît, au deuxième impact, la coque explose et au troisième la coque me retombe sur le pied. Au troisième impact, je me dis qu’il faut que ça s’arrête tant la douleur sur mon pied est incommensurable. J’ai plusieurs fractures à la cheville. La douleur est insupportable, il faut en finir. A cette époque, les prototypes étaient encore ouverts, du moins l’ORECA LMP1. Au dernier instant, l’auto tourne pour un demi-tour et se pose sur le fond plat. Je suis en vie.”
C’est la chose la plus importante…
“Je vois que du monde vient tout de suite vers moi, ma jambe gauche est entière, elle bouge, mais je cherche mon pied droit. Les commissaires essaient de m’extraire des morceaux de la voiture. Il y a un grand trou dans la coque, mais je ne vois pas mon pied. Je me dis que je suis vivant mais dans quel état, je ne sais pas.”
Vous cogitez ?
“Mon neveu est né un 27 avril (1996) et c’était le plus beau jour de ma vie. Le 27 avril 2008 est aussi le plus beau jour de ma vie. Je me dis que ce n’est pas grave, qu’au pire on va me couper la jambe comme Alex Zanardi. La vie ne s’arrête pas. En 2014, je suis en Blancpain GT Series à Nogaro et Alex roulait sur une BMW Z4 GT3. On s’est vu en début de week-end pour discuter longuement et on a pleuré. Alex a changé la vie de beaucoup de personnes dans le monde. A Nogaro, on était tellement heureux tous les deux. Le plus important dans la vie est la vie. Ta première bouffée d’air est quand tu sors du ventre de ta mère. Avant de toucher le sol, j’ai eu le temps d’y penser.”
L’envie de piloter est vite revenue ?
“Déjà, tu sais que tu vas pouvoir piloter à nouveau, mais au début tu es sous morphine durant plusieurs jours. A ce moment-là, tu ne penses pas au pilotage. Tu choques même les gens en disant que tu veux à nouveau piloter.”
Vous revenez pourtant rapidement à la compétition…
“Je roule aux 1000 km du Nürburgring en août. Loïc Duval est là en troisième pilote au cas où. Je remonte dans l’auto avec des béquilles. C’était la période des travaux sur le circuit et il manque une tribune. En roulant, je me dis que si je décolle, ma voiture ne terminera pas dans la tribune. J’ai en mémoire que Loïc avait halluciné car j’étais dans les mêmes temps que lui. Il a aussi connu un grave accident au Mans et j’ai beaucoup discuté avec lui en lui disant qu’il était vivant et qu’il allait gagner les 24 Heures du Mans.”
Il n’y avait pas d’appréhension ?
“Sur le Paul Ricard, tout allait bien jusqu’à 300 km/h, mais, au début, je n’arrivais pas à fond à Signes. Il m’a fallu quelques tours pour m’y forcer. Ma première victoire après l’accident était en FFSA GT sur une Audi R8 LMS/Team ORECA avec le regretté Yvan Lebon à Magny-Cours. Mon accident était sur un proto ORECA et là je gagne avec ORECA et Hugues de Chaunac. La page est tournée et une nouvelle s’écrit. J’ai tout de même eu des douleurs durant plusieurs années. En 2011, je suis aux 12 Heures de Sebring et je vais faire un footing avec Mako. J’ai été contraint d’arrêter car j’avais très mal. La douleur est restée trois mois. Il aurait fallu reconstruire les ligaments avec une greffe de tendon, ce qui demandait six mois d’immobilisation. J’ai refusé et les muscles ont compensé petit à petit.”
Vous aviez déjà connu une grosse sortie de piste en 2007 ?
“Oui dans les rues Bucarest en FIA GT où, là aussi, je n’y étais pour rien. Après ce choc, j’avais des vertiges et je pensais devoir vivre avec cela. Bizarrement, l’accident de 2008 a ôté les vertiges. Il faut souligner le travail des services médicaux sur les circuits. Tout le monde est bienveillant avec les pilotes. A chaque fois que je retourne à Monza, je passe au centre médical.”
A suivre…