En mai 2006, j’assistais au lancement de la catégorie GT3 à Silverstone. En avril 2010, j’étais à Abu Dhabi pour le tout premier meeting World GT1. Un an plus tard, je voyais les débuts de la Blancpain Endurance Series à Monza. En mars 2012, je faisais le déplacement à Sebring pour le baptême du WEC. Cette même année, je voyageais jusqu’en Azerbaidjan pour suivre le tout premier City Challenge dans les rues de Baku.
En avril 2021, retour à Monza, cette fois pour le Fanatec GT World Challenge Europe Powered by AWS. Outre le fait qu’il faille porter un masque sur le visage tout le week-end, j’étais aussi là pour assister à la course Fanatec Esports GT Pro Series. Est-ce que le meeting m’a donné les mêmes frissons que ceux cités précédemment ? Si je dis oui, je mentirai. Si je dis non, c’est peut-être que je suis passé dans le camp des vieux cons.
Le 17 avril 2010, je rêvais devant 24 magnifiques GT1 dans le prestigieux cadre du circuit de Yas Marina. Le 17 avril 2021, soit onze ans jour pour jour plus tard, je regardais 24 pilotes sous une structure disputer une course virtuelle dont les trois premiers récoltaient des points dans un championnat réel. Il y avait Eyjafjallajökul en 2010, il y a le masque et le test PCR en 2021. Décidément, tout change…
Faut-il se réjouir de ce nouveau concept ? Certains vous diront oui, d’autres vous diront non. Une chose est sûre, j’étais là. Quelques heures avant l’événement, j’ai même eu l’occasion de m’installer dans le baquet pour rouler virtuellement en Bentley Continental GT3 à Monza dans la foulée de mon ‘partner in crime’ des circuits Thomas Bastin. Lui est joueur, moi pas. Lui est resté sur la piste, moi pas.
Malgré l’absence de spectateurs, l’ambiance était surchauffée sous la structure Fanatec pour assister à la course virtuelle précédée d’un mot d’introduction de Stéphane Ratel, président-fondateur de SRO Motorsports Group. La BOP, c’est lui. Le Pro-Am, c’est lui. Catégoriser les pilotes, c’est lui. Le renouveau du GT, c’est lui. Le World GT1, c’est aussi lui. Bref, un précurseur de beaucoup de choses dans le monde du GT. On doit donc pouvoir lui faire confiance une fois de plus pour taper dans le mille. On peut aimer ou pas la BOP, mais il y a toujours cette notion de voiture. Contempler une Maserati MC12 avec sous sans BOP dans la voie des stands n’enlève rien au rêve. Cette fois, la voiture est sur un écran. Ne me parlez pas de rêve. Peut-être que dans quelques années, tous les championnats mixeront de cette façon le virtuel et le réel.
Je vais être honnête, j’ai suivi la course une quinzaine de minutes avant de quitter les lieux pour parler de LMDh avec Giorgio Sanna, le patron de la compétition. Là, j’étais dans mon élément. Avant d’arriver à Monza, je pensais que le championnat virtuel permettait de récolter trois points au championnat réel en fin de saison. J’ai compris tardivement que chaque vainqueur d’une course virtuelle donnait 3 points à son équipe, ce qui fait un total de 15 points sur la saison, soit l’équivalent d’une 3e place réelle. Je m’étais dit que 3 points n’allait pas changer la face du monde, mais 15 c’est autre chose. Une course virtuelle qui donne des points en réel se prépare minutieusement. Croyez-moi que cela coûte de l’argent en plus du temps.
En échangeant avec les pilotes, les avis sont partagés. Les plus jeunes sont bien plus réceptifs. Sur les 24 pilotes inscrits à Monza, 19 avaient moins de 30 ans. Plus les pilotes avancent dans l’âge, plus ils ont tendance à vous répondre “laisse-moi tranquille avec ton jeu vidéo”. Un d’entre eux nous a dit : “je suis pilote de course, pas pilote de jeu”. A contrario, les plus jeunes sont bien plus réceptifs. Le plus jeune était Miklas Born, 18 ans, et le plus âgé, Maro Engel, 35 ans.
Alors, bonne ou mauvaise idée ? Pour ma part, je n’ai pas d’avis tranché sur le sujet. On ne peut pas ignorer le phénomène sim racing, cela ne fait aucun doute. J’ai adoré le concept des 24 Heures du Mans Virtuelles que j’ai regardé durant près de 20 heures. On ne peut donc pas me taxer d’anti-sim racing. Endurance-Info a même été moteur pour monter une équipe. Il y a quelques années, j’ai eu la chance de faire le test que font les rookies pour Le Mans chez AOTech. Là, on ne parle pas d’un jeu mais bien de comprendre les procédures de la course. On ne va pas se mentir, j’ai fait plus que frotter le proto sur lequel je roulais contre un rail dans les virages Porsche. Dans la vraie vie, ça m’aurait coûté une visite au centre médical et une franchise pour la casse. Sur le simulateur, un ingénieur est venu faire une remise à zéro et j’ai recommencé.
Le curseur entre le virtuel et le réel est toujours compliqué à placer. Je ne suis pas persuadé que le départ de la course virtuelle de Monza ait ravi les gamers. Il faut bien s’assurer de ne pas jouer à Demolition Derby. La suite a été bien plus propre. Il est vrai que prendre un départ à Monza est toujours chaud.
Pour avoir pu échanger avec plusieurs joueurs professionnels à l’occasion des 24H du Mans Virtuelles, participer à cette course était pour eux comme un rêve qui se réalisait. Le Mans fait aussi rêver les gamers. Mon acolyte Thomas Bastin vous dira que le virtuel ne peut pas se passer du réel. Peut-être a-t-il raison. On est arrivé à un point où on peut créer des voitures virtuelles bodybuildées en occultant celles qui sont sur la piste. Tous ces designs vus sur la toile qu’on ne verra pas dans la réalité peuvent trouver leur place dans une compétition virtuelle. Il faut bien faire la différence entre une course virtuelle et le travail de fond sur un simulateur pour optimiser une voiture. Les deux n’ont rien en commun. Je connais des pilotes qui liment le bitume sur un simulateur professionnel et que vous ne verrez jamais disputer une course virtuelle. La différence entre le plaisir et le travail.
Cela ne nous dit pas où on en sera dans dix ans. Espérons tout de même que la piste aura toujours un intérêt. On vous l’a dit et répété, on ne peut pas occulter la course virtuelle. Ces simulateurs Fanatec sont magnifiques, cela ne fait aucun doute. Personnellement, je préfère investir dans un home-trainer dernier cri, enfourcher mon vélo et me taper une étape de montagne sur Zwift. Chacun son truc. Je passe mon temps dans l’univers sport auto 24/7 de 8h à 23h. Croyez-moi que pédaler, même une heure par jour, procure aussi des sensations.
Suis-je passé dans le camp des vieux cons ? J’espère que non car il y a encore tant d’histoires à raconter en sport automobile. Il faut juste vivre avec son temps. Je pourrais aussi vous raconter ma première expérience en voiture hybride pour me rendre à Monza. Sur ce sujet, mon avis est bien plus tranché car j’ai vraiment l’impression qu’on nous prend pour des cons…