Depuis 2018 Petit Le Mans n’a plus lieu à Road Atlanta, mais sur le « Michelin Raceway Road Atlanta ». Tout un symbole, et un changement de nom qui en dit long sur les ambitions de Bibendum en Amérique du Nord.
Annoncée en 2018, puis inaugurée en octobre 2019, la Michelin Tower trône fièrement au bord de la piste du mythique tracé américain. Au-delà du caractère très français de la course –son propre nom, ses accords historiques entre Don Panoz et l’ACO, le sponsoring de Motul pour cette manche de l’IMSA- cet édifice rappelle à quel point le manufacturier français a investi dans ce petit coin Georgie, à une bonne heure d’Atlanta. Mais, derrière cette coloration jaune et bleue du lieu, se cache une stratégie marketing globale. Rencontre avec Tony Ménard, basé à Greenville (Caroline du Sud) et directeur de Michelin Motorsport pour l’Amérique du Nord.
Tout d’abord, quelles ont été les conséquences de la crise sanitaire sur vos activités aux Etats-Unis ?
“Lorsque le Président Trump a annoncé la fermeture des frontières, mi-mars, nous étions sur le circuit de Sebring (Floride), avec 12 000 pneus en attente de montage pour les 12 Heures de Sebring et le WEC. Compte tenu de l’ampleur de la manifestation, nous avions énormément de matériel et il a fallu tout remballer rapidement tout en protégeant nos collaborateurs. Ensuite, c’est l’usine de Cataroux, près de Clermont-Ferrand, qui a stoppé son activité la veille de l’entrée en production des pneus destinés aux courses qui devaient se dérouler en été. Comme c’est la seule à fabriquer les pneus pour ce genre de compétition, et que de toute manière tout s’était arrêté sans savoir ce qui allait se passer, nous avons fait comme tout le monde et sommes restés chez nous.”
Comment s’est organisée la reprise des championnats ?
“Comme c’est un énorme business, le sport automobile américain a commencé à revivre assez tôt, dès la seconde quinzaine de juin. L’Etat américain a fait des dérogations, et on a vu les championnats repartir dans différentes conditions. De notre côté, nous avons travaillé conjointement avec l’IMSA et les équipes industrielles de Michelin pour définir le meilleur calendrier possible. Car en fonction des circuits, on n’utilise pas les mêmes pneus. A Daytona en juillet, la température piste était de 45 °C. En janvier, pour la Rolex 24, elle était de 6°C… on ne pouvait donc pas avoir les mêmes pneus, mais nous nous sommes adaptés et nous avons pu reprendre le chemin des circuits.”
Est-ce que les courses accueillent du public ?
“Ici, chaque état décide de sa propre politique en la matière. Depuis la reprise, on a fait sept courses, et seulement trois ont accueilli des spectateurs. A Petit Le Mans, la jauge a été établie à 5 000 personnes. Une année normale, ils vendent entre 60 000 et 80 000 billets… Mais c’est toujours mieux que rien. En juillet, sur le circuit de Road America (Elkhart Lake, Wisconsin), sous la pluie, il devait y avoir 200 personnes dans la tribune de l’ovale, laquelle peut en contenir jusqu’à 100 000…”
Quelle organisation avez-vous adopté pour cette édition de Petit Le Mans ?
“On a piloté la chose avec Clermont-Ferrand, qui avait initialement interdit les déplacements professionnels. Depuis la reprise, on a adapté nos structures avec des effectifs inférieurs de 40 à 60 % à la normale. Par ailleurs, l’IMSA a mis en place un protocole sanitaire extrêmement rigoureux. Leur premier message a été : vous ne pourrez pas faire ce que vous faisiez avant ». Et ça marche : contrairement à ce que vous avez pu voir aux 24 Heures du Mans ou en ELMS, nous n’avons eu aucun cas de Covid dans les paddocks. La création de bulles et de paddock fermé a porté ses fruits. Mais nos techniciens ne peuvent plus aller dans certaines zones de travail ou près de la piste.”
L’accessibilité des pilotes et des voitures est la force du sport automobile US. Comment se gère cette situation ?
“Ce qui manque aujourd’hui le plus, c’est effectivement c’est proximité que le spectateur américain peut d’ordinaire avoir avec les acteurs du championnat et leurs machines. On ne peut plus aller sur la grille de départ, ni dans les paddocks. C’est contextuel, et nous espérons bien entendu que des solutions vont être trouvées pour préserver cette tradition qui fait partie l’ADN du sport automobile américain.”
Comment entrevoyez-vous la prochaine saison, compte tenu de la connaissance que nous avons aujourd’hui de la crise sanitaire ?
“Assez positivement, car nous savons que les autorités feront le nécessaire pour que les activités perdurent. L’IMSA a démontré qu’il était possible d’organiser des courses dans des conditions différentes, et on constate que le nombre d’engagés ne faiblit pas. C’est vrai qu’à Petit Le Mans on a eu cette année 31 voitures au lieu de 34 sur le championnat principal, mais en réalité ce week-end nous avons 81 voitures avec les courses support. L’an prochain, hormis l’arrêt du programme Porsche en GTLM (qui était prévu, dans tous les cas, Ndlr), nous n’avons pas entendu parler d’autre départ de constructeur. Bien au contraire.”