On ne vous apprendra rien en vous disant que les courses virtuelles se sont développées durant cette période de confinement. Chaque série y va de sa course ou de son championnat : IMSA, SRO, Formule 1, IndyCar, Formula E, Creventic, VLN, etc etc etc. A chaque week-end sa course et à chaque course ses debriefings de pilotes dans les communiqués de presse.
Si vous étiez avec nous lors d’un précédent Café Endurance-Info avec Thomas Bastin, vous avez pu suivre nos échanges sur le sujet. Afin de couper court à toute remarque désobligeante, Endurance-Info n’a rien contre le sim racing. Le premier article de la rubrique Sport Paddle a été diffusé le 15 février 2016. Par manque de temps (et de compétence), cette rubrique n’est pas mise à jour régulièrement. De plus, nous ne serions pas partie prenante dans l’aventure Simulateur Académie Racing.
Selon nous, il y a le réel d’un côté, le virtuel de l’autre. La période actuelle fait que les pilotes jouent en réseau, certains pour le fun, d’autres pour gagner. Tout le monde n’a pas le même objectif.
Si, dans un premier temps, les gamers ont torché les pilotes réels (il faut appeler un chat un chat), les deux camps roulent maintenant le plus souvent séparément. Lors du dernier rendez-vous SRO E-Sport GT Series, 50 pilotes réels se sont affrontés sur le tracé de Silverstone. Un plateau de gamers en a fait de même de son côté.
On va poser les bases d’entrée de jeu. Aussi bien Assetto Corsa Competizione que iRacing, tout est parfaitement modélisé avec des GT plus vraies que nature et des circuits très bien reproduits. Les promoteurs embauchent même des photographes pour traiter des photos virtuelles.
Cette période sans compétition a aussi incité les constructeurs à faire appel à leurs pilotes pour jouer virtuellement et représenter la marque. Certains ont dit oui, d’autres ont dit non. On a même entendu qu’un pilote avait été prié d’arrêter de jouer par son employeur car il n’était pas au niveau. Est-ce que la prochaine étape sera de perdre un contrat de pilote officiel réel à cause d’un niveau trop faible en virtuel ? On espère que non car si tel devait être le cas, le sport auto serait alors tombé bien bas.
Justement, le sport auto est actuellement au plus bas. Est-ce que le sim racing va permettre de générer plus de fans, plus de retombées ? L’avenir nous le dira. A une époque où il faut sauver le sport auto, mettre un pied en sim racing n’est pas idiot, mais mettre les deux pieds peut avoir un effet pervers. Les partenaires s’investissent de plus en plus dans le sim racing qui profite de la vague actuelle pour se développer. Pourquoi un partenaire irait sponsoriser un pilote ou une équipe du monde réel alors qu’il peut faire la même chose pour moins cher sur une discipline qui n’est pas dangereuse et qui ne pollue pas ? “Avec la course virtuelle, nous avons eu plus de retombées que sur une course réelle”, nous a déclaré un patron d’équipe. “On commence à nous demander si nous avons une équipe virtuelle. Le réel va devoir faire attention à ne pas se tirer une balle dans le pied. On parle actuellement de sauver le sport auto sur piste car sa survie n’est pas assurée.”
De plus en plus d’écuries mettent en place des équipes virtuelles avec la recherche de partenaires, mais attention car le virtuel doit sa vie au réel. Pour les partenaires, tomber dans la marmite du virtuel est avantageux : coût, visibilité, réalisme, empreinte carbone neutre. Même constat pour l’équipe : pas de personnel, pas de déplacements, pas d’assurance. Quelques équipes nous ont confié avoir arrêté la création d’une équipe virtuelle par peur du retour de bâton. Lamborghini Squadra Corse offre, par exemple, un test à un gamer sur une Huracan GT3 sans en promettre plus. Un pilote nous a aussi avoué qu’un gamer avait établi le set up de sa ‘GT virtuelle’.
Les pilotes, qui jouent quotidiennement, vantent les mérites du sim racing mais tous ne sont pas du même avis. Il est assez difficile de faire parler ouvertement des pilotes qui ont un contrat officiel. “Lire que le sim racing est comparable au réel me fait doucement rigoler”, nous a confié un pilote d’usine qui passe beaucoup de temps sur un simulateur professionnel. “C’est parfait pour jouer, pour apprendre un circuit et pourquoi pas pour la concentration. Rien de plus… Si je règle ma voiture dans la réalité comme dans le jeu, je peux oublier la pole. On ne peut pas comparer les deux. Assetto Corsa est le JEU (il insiste sur le mot jeu, ndlr) d’un championnat.”
Travailler sur un simulateur chez Dallara, AOTech ou Red Bull Racing n’a pas grand-chose en commun avec un jeu. Il faut bien dissocier le jeu du travail où il faut plancher spécifiquement sur des réglages. “Sur un jeu, une voiture n’a pas la même balance aéro que dans la réalité“, nous a confié un autre pilote. “La fenêtre de fonctionnement des pneumatiques n’est pas la même, le grip de la piste non plus. Les sociétés qui mettent en place les jeux ont des données, mais les constructeurs ne donnent pas toutes leurs infos. Pour faire la différence et être rapide sur un jeu, il faut rouler toute une journée. De plus, les trajectoires ne sont pas les mêmes dans le virtuel que dans le réel, tout comme la façon de freiner.”
Pour être devant, il faut du très bon matériel qui coûte très cher. “J’ai roulé chez AOTech par obligation car le passage est obligatoire quand on débute aux 24 Heures du Mans”, se souvient un pilote. “Dans ce cas bien précis, c’était très positif car il n’était pas question de gagner une course, mais bien d’appréhender les spécificités du circuit, notamment les slow zones. Je me pose tout de même des questions quand je lis qu’un pilote professionnel deviendra meilleur en piste avoir avoir joué sur un simulateur statique. Ce discours m’intrigue. Selon moi, les jeunes qui passent beaucoup temps sur un simulateur personnel risquent de prendre plus de risques sur un vrai circuit.”
Monter dans son simulateur pour prendre le départ d’une course cinq minutes après avoir rentré son chien est possible. Dans la réalité, c’est plus compliqué. Plusieurs pilotes, contactés par Endurance-Info, nous ont déclaré ne pas vouloir disputer de courses à la maison. Certains trouvent cela éloigné de la réalité, d’autres avouent être très mauvais. En revanche, ils ont tous suivi l’affaire Kyle Larson, vainqueur des 24 Heures de Daytona 2015, pilote NASCAR chez Ganassi jusqu’au 13 avril où il s’est fait virer de son équipe après une insulte raciste lors d’une course sur iRacing. Ensuite, l’affaire de l’accident entre Simon Pagenaud et Lando Norris lors d’une course virtuelle IndyCar a beaucoup fait parler. Tout le monde y est allé de son commentaire, même Zak Brown. Dans la réalité, il n’y a pas de bouton ‘reset’.
Une fois que les courses auront repris, on verra si les pilotes réels continueront à jouer aussi assidument. En théorie, oui, si ça les aident dans la réalité. On verra aussi si les deux mondes continueront à cohabiter ou si chacun reprendra sa vie. La manche GT World Challenge Europe du Nürburgring est le lieu depuis deux ans d’un salon de sim racing. Est-ce que le paddock était plus rempli ? La réponse est non. Est-ce que le salon valait le déplacement ? La réponse est oui. Cela nous a permis d’en apprendre plus sur le sim racing, de voir que les volants étaient de vrais petits bijoux.
Durant le confinement, beaucoup de promoteurs ont axé leur communication sur les courses virtuelles. On ne peut pas critiquer l’idée, mais il y avait tant à faire pour parler de sport automobile. L’Endurance est faite de milliers d’histoires humaines qui sont restées dans les cartons.
On peut comparer le sim racing à la presse internet. En 2004, les sites d’infos en ligne étaient vus comme des amateurs sans avenir et sans la moindre crédibilité face à la presse papier. Quinze ans plus tard, le papier souffre et internet est en expansion. Attention car le sport automobile réel est déjà suffisamment en souffrance. Créer une Peugeot Le Mans Hypercar virtuelle prendra moins de temps et coûtera moins d’argent que la vraie. Les écologistes n’auront rien à redire, les fans suivront les débats de chez eux une bière à la main et pourront peut-être même voter pour donner un boost à un pilote virtuel. On verra dans 15 ans où nous en sommes.
On laisse le mot de la fin à un pilote : “Le simulateur n’est pas pour moi, ça me rend vite malade. Actuellement, je passe plus de temps à sauver mes partenaires pour continuer à rouler sur circuit qu’à rouler virtuellement. Je ne suis pas certain que tout le monde ait pris la mesure de l’état du sport automobile en sortie de crise…”