Yannick Dalmas, quadruple vainqueur des 24 Heures du Mans, a gentiment accepté de répondre à quelques-unes de vos questions. Vous avez été nombreux à répondre à l’appel et il y aura très certainement un acte 2.
Considérez-vous que rouler sur une voiture ouverte était plus dangereux ?
“Je ne peux pas nier que c’était forcément plus risqué sachant que pour le pilote c’était plus dur, notamment en cas de mauvais temps. Il fallait gérer les visières, ce qui peut paraître anodin, mais c’est un détail qui a son importance. De plus, à mon époque, les éclairages sur les circuits étaient différents. Au Mans, tu partais avec une visière fumée avant 22h pour contrer le soleil et tu terminais à minuit en pleine nuit. Il faut aussi se souvenir que le tableau de marche pouvait changer en cours de route. Il fallait avoir un casque prêt avec la bonne visière. A contrario, on avait plus d’air quand il faisait chaud mais on était plus exposé.”
Si vous deviez conseiller un jeune pilote, quels conseils lui donneriez-vous ?
“Aujourd’hui, pour un pilote, le chemin est de débuter par la monoplace avec la Formule 4 puis la F3 et la F2. Tout dépend de la position du pilote. Est-ce qu’il faut se focaliser sur la monoplace ? Est-ce que les moyens sont suffisants ? C’est sûr que la Formule 1 fait rêver mais combien peuvent y accéder ? Les qualités d’un pilote d’endurance sont exceptionnelles. Il faut la rapidité, la concentration, la constance, la bonne gestion du trafic. En Endurance, vitesse et précipitation ne se marient pas. Faire carrière en GT ou en LMP2 de nos jours n’a rien de dévalorisant.”
Quel regard portez-vous sur l’arrivée d’un équipage féminin au Mans ?
“On est dans un sport assez macho et je suis ravi de voir des filles. La femme dans la société est l’égale de l’homme. Elle travaille, elle est indépendante. Rouler en GT est parfait pour elles. Les catégories prototypes demandes de passer un step physiquement. Une femme est forte mentalement, certainement plus qu’un homme. Il faut le physique et la bonne préparation. Il n’y a pas de raison que ça ne marche pas. j’avoue que cela me plairait d’avoir un rôle de management au sein d’un équipage féminin. L’homme est moins à l’écoute que la femme. Une féminine est plus posée avec une meilleur progression.”
En 2019, les contraintes d’un pilote sont les mêmes que celles que vous avez connu ?
“J’ai eu la chance de connaître la boîte de vitesses manuelle, en H, séquentielle, à palettes. J’ai aussi roulé sur les LMP1 hybrides. Aujourd’hui, ce qui est différent, c’est le volant. J’ai connu le volant à trois boutons. Maintenant, c’est une vraie console de jeu. Un pilote fait beaucoup de simulateur. Il doit être capable de réagir dans n’importe quelle situation. Les aides au pilotage sont aussi plus présentes. Malgré tout cela, tu peux toujours casser la mécanique. L’hybridation complique encore les choses. Les autos sont de vraies ‘roquettes’. J’ai roulé à Bahrain sur les LMP1 quatre roues motrices. Les constructeurs ont beaucoup travaillé sur les choses basiques. C’est moins brutal et moins agressif que ce que j’ai connu. Les communications radios sont aussi différentes car le dialogue n’arrête pas. Selon moi, il faut revenir aux bases et remettre l’homme en avant.”
Quelle est votre auto préférée ?
“Celle qui sort du lot est la Peugeot 905 en version sprint. C’est l’équivalent d’une Porsche ou d’une Toyota. A Magny-Cours, les chronos étaient assez proches d’une F1. Cette version était rugueuse, virile. On prenait régulièrement 5G en latéral. Il fallait un physique de folie. La McLaren m’a aussi procuré beaucoup de plaisir avec son poste de pilotage central. On était arrivé à la dompter.”
Une anecdote que vous n’avez jamais osé révéler ?
“Cela fait 20 ans, donc il y a prescription. En 1999, Gerhard Berger (l’Autrichien dirigeait le programme LMP de BMW, ndlr) me dit à la radio pendant la course : ‘push’. Je réponds : ‘non’. Il réitère : ‘push push’. Je réponds une nouvelle fois ‘non’. Nous avons fini par gagner. J’ai une autre anecdote, mais celle-ci je n’en suis pas très fier. Là, on remonte près de 30 ans en arrière avec des règles de circulation qui n’étaient pas les mêmes qu’actuellement. Pour me préparer à être de suite dans le rythme, je faisais le plein de ma voiture (une Peugeot 605, ndlr), j’allais dormir quelques heures et je faisais sonner mon réveil en pleine nuit. Je me levais en sursaut, enfilait un jogging avant de faire chauffer la voiture. Je prenais l’autoroute pour rouler. J’étais content quand j’avais la pluie, ce qui me permettait de contrôler la voiture dans des conditions difficiles. Avec le recul, je me dis que c’était stupide. Cela me permettait d’être dans le rythme rapidement dès le lever sans se poser de questions.”
Selon vous, Toyota a déjà gagné cette édition des 24 Heures du Mans ?
“Au Mans, la course n’est jamais gagnée. De la 1ère à la dernière minute, il peut se passer quelque chose. Sur le papier, Toyota a clairement un avantage mais le papier ne fait pas tout. Tout est réuni mais on ne sait jamais surtout qu’ils vont se battre entre eux. A chaque fois que je roulais au Mans et qu’il y avait deux autos dans la même équipe, j’ai toujours fait abstraction de la seconde auto. Au Mans, la concentration est capitale.“
Vous avez toujours soigné votre physique ?
“Je n’ai jamais eu la moindre lassitude car selon moi piloter n’est jamais répétitif. Chaque tour est nouveau. Tu dois toujours peaufiner et être le meilleur possible. L’être humain a des facultés inouïes. Il ne faut pas se laisser surprendre. Quand je roulais en enduro, je passais cinq à six heures par jour sur la moto. J’arrêtais le temps sur la souffrance physique. Je notais chaque détail de la préparation. Je me souviens que la première fois que j’ai vu Gérard Neveu (directeur général du FIA WEC, ndlr), c’était lorsque je roulais chez AGS. Il m’a pris pour un illuminé quand il a vu la préparation et le fait que je notais tout. Des bons pilotes, il y en a beaucoup, mais l’objectif est d’être très bon. Tout était naturel pour moi. C’est une histoire d’éducation avec mes parents. Si je devais m’occuper d’un jeune, je crois tout de même que je changerais quelques petites choses.”
Pourquoi avoir décidé d’arrêter votre carrière alors que vous étiez encore au top de votre forme ?
“Quand le programme Peugeot s’est arrêté, j’ai eu la chance d’être contacté par Porsche Dauer. On a gagné et le programme s’est arrêté. A l’intersaison 94/95, je n’avais pas le moindre programme en Endurance alors que je roulais en Supertourisme. Keke Rosberg est venu me voir pour savoir si le programme McLaren pouvait m’intéresser. J’ai testé l’auto en me disant qu’il y avait beaucoup de travail. Là aussi, nous avons gagné et le programme s’est arrêté. Après, il y a eu Porsche durant trois ans. Avant, tu restais un an ou deux dans une équipe et tu devais changer car tu n’avais pas le choix. C’est aussi ce qui s’est passé avec Chrysler et ORECA. J’ai eu aussi quelques accidents qui m’ont bien secoué. Ma motivation a certainement diminué, les années passent vite. Entre la moto et l’auto, j’ai passé 30 ans en compétition. Tant que tu es pilote, tu dois avoir conscience que tu es privilégié. Je ne dis pas que c’est confortable, je dis juste qu’on fait partie des privilégiés. Il ne faut pas perdre de vue de préparer l’avenir. J’ai très mal vécu le début de la transition car je n’étais pas préparé à ce changement brutal. La transition peut être parfois très néfaste pour la personne.”
La dernière question est celle de Didier Calmels, dont l’équipe Larrousse F1 a fait courir Yannick Dalmas : “te souviens-tu de notre erreur de panneautage qui t’a fait rater un point en F1 à Monaco ? Personnellement, ce mauvais souvenir n’est pas effacé.”
“Je suis étonné que Didier s’en souvienne encore. C’était une connerie de l’équipe. Nous avions fait une superbe course et je pouvais marquer un point dans les rues de Monaco, ce qui n’est pas rien. J’étais furieux car le stand m’a passé le message que je n’avais plus d’essence. J’ai ralenti et Riccardo Patrese m’a passé. Ce fait de course m’a vraiment marqué et je m’en souviens comme si c’était hier. En F1, je ne faisais pas d’essais, surtout chez Larrousse F1. J’avais toujours des difficultés à trouver les derniers dixièmes et ce point de la 6e place aurait été une belle récompense.”